Retour sur un coup de ligne magistral
Yoann Marty
Nous sommes mercredi 07 juillet et comme tous les mercredis j’appelle Sylvain pour organiser notre sortie de pêche dominicale, nous évoquons la Neste, le Salat, la Garonne basse, le Gave.
Comme d’habitude toutes les options sont passées en revue. Notre choix se porte dans un premier temps sur la Neste, car Romain a réalisé ces derniers jours de très belles pêches, mais nous seront cinq pour cette sortie (Théo, Fred, Jean Pierre, Sylvain et moi) et nous finissons par conclure que nous serons un peu à l’étroit sur cette rivière. Nous optons donc pour le Gave même si nos dernières sorties sur cette rivière ont été plutôt décevantes.
Le dimanche arrive et nous décollons de Seissan à 6h15, arrivé à Lourdes à 7h30 et après la traditionnelle pose café croissant nous nous dirigeons sur les bords du Gaves.
Le parcours que nous avons choisi nous le connaissons bien, en ce qui me concerne je le pratique depuis plus de 25 ans et beaucoup de mes plus beaux coups de lignes y ont été réalisés. Dans la voiture, pendant le trajet, avec beaucoup de nostalgie nous avons « refait l’histoire ». J’ai raconté à Jean-Pierre qui ne connait pas cette rivière les prises record en AEC que j’ai réalisées pendant que Sylvain faisait ces gammes sur les bordures avec quelques truitelles ou tacons affamés. Mais depuis juin 2013 et la crue historique du Gave nous peinons vraiment à réaliser les belles pêches et les poissons record que nous avions l’habitude de faire.
A la descente de la voiture nous constatons que l’eau est belle mais pas encore complètement claire. En ce qui concerne le niveau nous ne sommes pas encore à l’étiage mais on s’en rapproche ; cerise sur le gâteau, quasi absence de vent. Des conditions très correctes au vues de nos dernières sorties sur le Gave ou nous avions trouvé de l’eau grise et beaucoup de vent dès le matin. Une fois équipé nous nous répartissons sur la rivière.
Quelques semaines plus tôt nous avons vu une vidéo au magasin de pêche chez Yves à Odos d’un pêcheur en nymphe qui lutte désespérément contre une énorme AEC. Sylvain, qui depuis plusieurs année a l’espoir de prendre une truite record, reconnait le coin et décide d’attaquer sur ce spot.
« Le Sylvain » il ne rigole pas depuis plusieurs années, il me parle de son rêve de poisson record et pour arriver à satisfaire ses ambitions, il a investi en conséquence. Une canne anglaise DAIWA match winner d’une puissance de 40-60 gr, un monstre de puissance pour pêcher la carpe. Un bon moulinet taille 3000, du 24/100ème en corps de ligne, 20/100ème en bas de ligne et hameçon à carpe. La totale, le gars il est fin prêt ! Le seul problème c’est que depuis 5 ans la canne nous accompagne, elle fait régulièrement le voyage jusqu’à LOURDES mais elle n’a toujours rien pris de plus de 30 cm. Un bazooka pour tuer des mouches !!!
Jean-Pierre, Theo et moi décidons de descendre sur une bordure moutonneuse assez rapide et peu profonde assez technique à pêcher mais qui donne de très bons résultats quand les truites sont en appétit. Sur ce genre de parcours si le passage de ligne est bon, elles n’ont pas le temps de réfléchir et généralement elles prennent franchement. Fred se positionnera entre Sylvain et nous sur une belle entrée d’eau profonde où il touchera plusieurs « bassines » et décrochera une 40 +.
Après quelques coups de lignes j’accroche un beau poisson sur la bordure face à moi. La touche est nette. Elles sont dehors ! Une mesure rapide, 48 cm, le poisson est très gras, on doit être au kg. La photo est immédiatement envoyé à Sylvain. C’est un petit rituel entre nous, le match commence !
La première manche, elle sera pour moi.
Nous attrapons avec Jean Pierre et Théo plusieurs poissons de 25 à 28 cm puis nous nous déplaçons. Fred nous rejoint sur un nouveau moutonneux plus profond. Après quelques coups de lignes infructueux sur la bordure j’avance dans le courant et je me positionne. La bordure du talus face à moi est magnifique avec un amorti de 30 cm de large. Ça pousse vraiment fort. Si je veux réussir mon coup il faut que je me stabilise au mieux, la qualité de mon passage de ligne en dépend. La première dérive sera la bonne, un arrêt brutal suivit d’un ferrage immédiat, c’est gros ! Dans les premiers temps j’ai du mal à estimer son gabarit, je sais que c’est gros mais à quel point difficile à dire surtout qu’avec le courant cela peut être trompeur. La truite dévale très rapidement et me prend 30 m de crin. Je sors du courant et je commence à la suivre et à rembobiner les mètres que je gagne en marchant. Fred, Theo et Jean Pierre sont à côté, ils ont à peine eu le temps de faire quelques dérives et je leur saccage le spot. Ils ont levé leurs cannes, moi pour le moment je subis. Le poisson est calé, je me rapproche et mets de la tension, j’ai confiance en mon bas de ligne en 14/100ème. Deuxième rush? 30 m de plus et je suis presque à la fin de la plage. Le poisson est de nouveau calé, je mets de la tension mais rien n’y fait, ça ne monte pas. Je commence à me dire que c’est très gros. Troisième rush, elle sort de la plage et dévale. Je n’ai pas d’autre choix que de traverser pour la suivre car je ne peux plus continuer le long de la berge où je me trouve. Le courant est fort mais le Gave est bas, ça va passer. Si j’arrive avec elle sur la plage plus bas, je pense que l’affaire est dans le sac. Un pêcheur est présent juste en dessous, il m’observe. Théo et Fred me suivent et vont eux aussi arriver à traverser. Enfin arrivé jusqu’au poisson qui s’est recalé, je remets un maximum de tension. Théo arrive et je suis obligé de lui passer la canne car pendant la traversé le lacet de ma chaussure s’est défait et je ne peux plus marcher ! Il assurera l’intérim avec efficacité. Encore un peu de tension et elle monte enfin.
Elle est magnifique c’est une grosse fario très large avec la robe caractéristique des truites du Gave.
Le plus impressionnant c’est la distance qui sépare le rigoleto de la queue du poisson. Je suis toujours à la lutte mais je sens que la fin du combat est proche. Elle se rendra finalement à la troisième tentative d’épuisettage. C’est Théo qui s’y est collé et une fois de plus il a assuré. A la mesure, ce magnifique mâle bécard accusera 63 cm pour un poids estimé de 2.8 kg.
Théo prend la photo qui est directement envoyée à Sylvain par texto. Le tout évidemment en omettant pas d’exagérer les mensurations du poisson. Sur le coup, lassé de rien toucher avec seulement plusieurs surdensitaires à son actif, Sylvain prend la voiture et décide de nous rejoindre. Il sait très bien que s’il en reste là le repas va être animé. Il a plus d’un mètre de poisson de retard !
Il change son matériel et comme à son habitude la Match Winner regagne docilement son fourreau. Son heure de gloire n’est toujours pas arrivé !
Fred, Théo et moi remontons rejoindre Jean-Pierre qui n’avait pas pu traverser et qui nous a observé depuis la rive opposée. Ils reprennent la pêche juste en dessous du spot de la grosse fario. DE mon coté je refais tranquillement mon bas de ligne éprouvé par le combat.
Au bout d’une trentaine de minutes je reprends aussi la pêche mais nous ne toucherons plus rien sur ce magnifique spot.
La deuxième manche, elle sera pour Sylvain
Le téléphone sonne c’est Sylvain, habituellement je n’aurais pas décroché tout de suite, surtout après lui avoir envoyé la dernière photo car je sais qu’il allait m’interroger sur la plombée la taille de l’hameçon, l’appât… Ce n’est pas le fait que je sois avare d’information, au contraire, mais je prends beaucoup de plaisir à le laisser un peu dans son jus.
Mais ce jour-là je décroche. L’homme est affolé, je n’ai pas le temps d’en placé une, il m’explique qu’il est juste en dessous de nous, et qu’il a accroché une très grosse fario. Je stoppe tout et je cours avec tout mon matériel vers lui, ça fait très longtemps que je n’ai pas couru à cette vitesse mais je connais très bien Sylvain et je sais que je ne me déplace pas pour rien. Je monte sur la berge, un chemin longe le Gave, je descends avec Théo. Très rapidement je l’aperçois sur une plage assez dégagée, sa canne est à l’équerre. Pour le rejoindre il faut une nouvelle fois traverser le Gave. Depuis le haut de la berge j’aperçois furtivement la forme du poisson, ça me parait colossal mais je préfère ne rien dire. Je rentre dans l’eau et je me positionne au milieu de la rivière entre le poisson et Sylvain. Je suis environ à une douzaine de mètres de lui. Excité il demande plusieurs fois si nous voyons le poisson. Théo, Jean-Pierre et Fred observent et les pronostics augmentent à chaque fois que la truite bouge.
J’ai rapidement compris qu’il ne s’agissait pas d’une grosse fario mais d’une très très grosse AEC. Ses mensurations et son comportement ne trompent pas, on a affaire à un bulldozer, ça colle au fond et ça ne bouge vraiment pas.
Il nous indique qu’il est en 15/100ème Rameau avec un hameçon de marque Sensas en n°16, modèle 33/11. Je connais bien ce matériel car j’utilise le même. Le bas de ligne est solide mais j’ai bien peur que ça ne suffise vraiment pas. En ce qui me concerne je ne suis jamais arrivé à sortir une de ces grosses AEC avec un fil aussi fin. J’ai tout le temps cassé sur ces gros poissons avec ce même diamètre de bas de ligne. Je ne lui fais pas part de mes inquiétudes et au contraire je lui annonce qu’il peut être tranquille avec ce matériel. Je minimise aussi volontairement la taille du poisson. Je sais que ça va être compliqué.
Plusieurs fois le poisson ira se frotter dans les herbiers mais Sylvain maitrise, elle passe derrière une grosse roche juste devant moi mais ça tient encore. La canne cintrée, la truite se cale devant moi dans un mètre d’eau, elle est toute proche. J’ai peine à croire ce que je vois, j’annonce « GROSSE AEC », j’ai du mal à estimer les mensurations. J’ai pris et vu prendre plusieurs très grosse AEC de 5 kg à 8.6 kg mais celle-là dépasse de très loin tous ce que j’ai pu voir. En plus d’être très longue elle est très large.
Sylvain me demande avec insistance si je la vois. Je lui réponds 70 cm max, tu vas l’avoir sans problème, histoire de faire retomber la pression. J’entends Fred qui est en hauteur dire 1 m mais Sylvain n’y fait pas cas. Le poisson fatigue mais la partie est loin d’être gagnée, il va falloir maintenant gérer l’épuisettage.
Je sais qu’à un moment ou l’autre lorsque qu’elle sera trop fatiguée elle va se laisser dévaler dans le courant et là le bas de ligne ne pourra pas tenir. La rivière à cet endroit est assez large et profonde, j’ai de l’eau au-dessus de la taille mais le courant est modéré. Nous observons tous les cinq le comportement de la truite, elle va bientôt dévaler. Sylvain mets un maximum de tension, la truite monte elle fait la planche. Elle vient vers moi, elle est monstrueuse ! Je sais que je n’aurais qu’une seule chance car Sylvain ne pourra pas freiner le poisson devant mon épuisette qui m’apparait tout d’un coup vraiment petite. Je me lance je rentre la tête du poisson dans la filoche, elle s’enroule légèrement, je lève le tout mais le poisson est très loin d’y contenir en entier. 50 % de la truite dans l’épuisette et 50% plaqué contre moi, elle ne bouge pas trop, ça va le faire, j’arrive à regagner la berge en étreignant la truite.
Nous sommes quatre à observer le poisson. Sylvain me serre la main, il tremble. Jean-Pierre, Théo et moi nous sommes sans voix. C’est vraiment un monstre, surprenant, impossible, ce moment est vraiment particulier. Nous nous rendons compte de la taille réelle de ce poisson. Le verdict tombe : 1 m tout rond. Pour le poids c’est plus compliqué et après plusieurs pesées avec du matériel non adapté on s’accordera le lendemain sur 11,6 kg.
Victoire haut la main de Sylvain
La prise de ce poisson par Sylvain est pour moi de loin le meilleur moment de pêche en rivière auquel j’ai assisté.
Certain parleront surement de chance, mais il en faut à la pêche.
Moi je m’incline tout simplement devant ce coup de ligne magistral de nom ami Sylvain. Tu as enfin ton record et tu l’as largement mérité. Je sais que je vais en entendre parler pendant très longtemps, mais ce sera avec un grand plaisir.
Nous clôtureront cette journée de partage et d’émotion en dessous de Lourdes ou Jean-Pierre et Fred prendront, entre autre, deux très jolis poissons de 40 et 48 cm.
2 réflexions sur « Retour sur un coup de ligne magistral »
Bravo Sylvain,et bravo Yoan! mais le mot est faible
J’ai quasiment les larmes aux yeux en te lisant Yoan
Quel coup de ligne et quel récit !
Parfaite symbiose ! un exemple de vie, respect !