Les Fous de toc se lâchent…Robert Menquet
Robert Menquet
La « grosse » du trou..
Le Job (petite rivière du Comminges, affluent du Ger, lui-même se jetant dans la Garonne) s’assagit en arrivant dans le tournant dît du « Grand Biarritz » juste en amont de la chute du barrage du premier moulin en amont d’Encausse-les-Thermes (31). L’endroit est très joli, l’eau plus profonde a une teinte bleu verdâtre, le courant passe contre la rive gauche, les berges sont garnies de « vernes » et de fougères, procurant une oasis d’ombre et de fraîcheur relative (l’été c’était alors l’endroit de baignade des jeunes de la commune).
Il fait chaud, les insectes bruissent dans l’ombre des arbres et les clarines des vaches tintent m’indiquant que les bêtes sont elles aussi importunées par les taons et les mouches excités par la lourdeur de l’atmosphère.Un grand chêne est incliné rive gauche au-dessus de l’eau et une de ses branches affleure la surface. Ce secteur de pêche est situé à deux kilomètres en amont du village et est très facilement accessible pour moi avec mon vélo. Depuis le début des vacances scolaires je suis attiré ici par une « grosse » truite que j’ai repérée et qui résiste inlassablement à toutes mes tentatives. Elle « est grosse » pour le gamin de huit ans que je suis. Les « vieux » se moquent de moi et me disent qu’elle est plus maligne que moi et que je ne l’aurai jamais. Je leur rétorque que je l’aurai, d’ailleurs j’ai déjà pris un « gros saumon » et cela déclenche les rires de ceux qui ne savent pas.
La rive d’en face, propriété privée m’est interdite et je ne peux que lancer la ligne en espérant que « ma truite » viendra se prendre au bout. J’ai tout essayé de ce que connais comme appâts, j’ai même écouté un « vieux » qui m’a conseillé de la pêcher avec des « nouilles ». Depuis des jours je l’ai observée et j’ai constaté qu’à certains moments elle vient se nourrir goulûment en surface, mais je ne distingue pas ce qu’elle mange.
Aujourd’hui j’ai emprunté au « Père Joseph Couadeau » sa paire de jumelles et je la regarde avec convoitise. Elle ondule doucement en surface, monte un peu, je vois sa gueule blanche s’ouvrir et se refermer lorsqu’elle « prend », mais je n’arrive toujours pas à savoir ce qu’elle mange. Elle est belle dans sa robe jaunâtre tachetée de points rouges et noirs, son œil me paraît méchant et sa caudale est large, Dieu que je voudrais la prendre !
Les heures passent et soudain ça y est, elle est en activité soutenue, elle gobe avidement en surface. Grâce aux jumelles je me rends compte que des chenilles vertes pendent le long de fils sous les branches au-dessus de l’eau. Serait-ce là sa nourriture ?
Aussitôt me voilà à la recherche de ces bestioles. Facilement j’en trouve quelques-unes. Seulement, comment les lancer à mon poisson, elles sont vertes, elles ont la peau glabre et surtout elles sont bien trop légères pour être lancées. J’ai une idée ; dans le buisson de sureau qui est plus loin je coupe une branche d’environ deux centimètres de diamètre, dans laquelle je taille avec mon Opinel un morceau de dix centimètre de long. A l’aide de deux brins de fil je fixe ce « bouchon » à un mètre de mon hameçon Tirtout de taille seize, je fais remonter ma plombée contre ce flotteur improvisé. Avec ma canne à lancer je propulse le tout bien en amont de la truite convoitée, laissant le courant amener l’ensemble à sa portée.
Doucement, le montage bizarre descend le courant, je retiens doucement ma ligne et je peux voir mon appât qui précède l’engin inventé. Le premier passage n’a rien donné. Je laisse filer et je reprends doucement ma ligne une fois celle-ci rendue bien loin en aval ; la truite n’a pas été alertée et continue à se nourrir allègrement. Je relance et je vois que cette fois-ci je vais réussir à passer juste dans l’axe de sa nage. La chenille dérive et c’est en criant que j’ai la joie de voir la gueule blanche s’ouvrir et la truite se saisir de mon appât.
Je ferre et la bataille commence. Les départs se succèdent, suivis de sauts et peu à peu grâce au frein de mon Mitchell 304 j’arrive à la conduire sur le sable de la « plage ». Je me jette dessus tout tremblant.
J’ai réussi à prendre « la grosse » du trou. Eperdu de joie, j’enfourche mon vélo et en présence de ma mère c’est sur la balance de la boucherie Joseph Coudeau au centre du village que je vais peser mon « monstre ». Huit cent cinquante grammes (c’est déjà un assez gros poisson pour ce ruisseau commingeois), je suis très fier de poser avec ma capture.
Les années ont passé, l’eau du Job s’est écoulée aussi irrémédiablement que la vie et malgré les nombreuses captures dont certaines très grosses que j’ai réalisées depuis je n’ai jamais oublié ma première grosse truite.
M’en souvenir fait ressurgir en moi les visages des personnes que j’aimais tant alors et qui sont aujourd’hui disparues mais chaque fois que je le peux je reviens sur les berges de ce petit cours d’eau Commingeois qui a beaucoup changé, mais désormais je n’en sort plus aucune capture, toutes sont remises à l’eau avec précaution.