Opposition aux microcentrales : pourquoi ?

Opposition aux microcentrales : pourquoi ?

Pour tous ceux qui se posent encore des questions sur l’opposition aux microcentrales voici un extrait d’un rapport édifiant, clair et concis sur la question…

Partie captée du Lez en Ariège au mois de juin 2016

MICROCENTRALES : UNE OPPOSITION REFLECHIE

Par Jacques PULOU, membre du directoire du Réseau Eau de FNE
Pilote du Réseau Eau de la FRAPNA
Membre du Comité de Bassin Rhône Méditerranée 

Le parc hydroélectrique français produit environ 2% de l’énergie consommée en France, dont un peu plus de 10% sont produits par 1700 microcentrales privées (90% reviennent aux 400 usines concédées appartenant à l’État) soit 0,2%. Un accroissement de 50% de ce parc, tel qu’il est malheureusement préconisé par les pouvoirs publics, représenterait 0,1% de notre approvisionnement énergétique. En matière hydroélectrique, la France fait figure de privilégiée et nombre de pays qui disposent de beaucoup moins n’en sont pas moins beaucoup plus avancés dans la transition énergétique : économies d’énergie et énergies renouvelables
L’hydroélectricité étant une technologie mature, fiable et très tôt automatisée, l’exploitation requiert peu d’emplois (un des secteurs où le nombre d’emplois créés rapporté au chiffre d’affaire ou à l’investissement est le plus faible). Les effectifs spécifiques à l’hydraulique sont dans les bureaux d’étude et chez les constructeurs électromécaniques, leur marché est situé à l’international et la rénovation de nos milliers de sites suffit amplement comme vitrine (par exemple en optimisant sous le double plan énergétique et environnemental les sites existants).
Dépourvues de réservoirs d’accumulation et fonctionnant au fil de l’eau, les microcentrales, produisent une énergie finale, variant avec les débits (les débits moyens mensuels varient couramment de 1 à 10 dans l’année et de 30%, en plus ou en moins, d’une année à l’autre). Au contraire des puissantes usines concédées de lacs ou d’éclusées, elles n’offrent que des garanties limitées d’intervention et ne contribuent ni à la sécurité du réseau (défaillance de production thermique, intermittence des renouvelables ou encore rupture de ligne) ni à assurer les pointes de consommation.
Localement, la production variable voire défaillante (crue, étiage, incident) des microcentrales n’évite aucunement le recours au réseau. Souvent isolées (en montagne par exemple) sur des territoires ayant de faibles besoins en énergie, l’inévitable exportation de leur production se traduit surtout par des pertes en ligne dues au transport de l’électricité. 
L’accroissement du parc de microcentrales ne correspond à aucun besoin énergétique, la modestie de sa contribution éventuelle et son intérêt limité indique que l’on peut en faire l’économie sans regret ni conséquence. 
Chaque microcentrale comprend un barrage déterminant à son amont, un remous d’autant plus important que la pente est faible : le cours d’eau vif et courant se transforme en un plan d’eau calme, sensible à l’eutrophisation et diminuant la capacité épuratoire… Dès qu’il dépasse quelques dizaines de centimètres, un barrage constitue un obstacle infranchissable pour nombre d’espèces piscicoles. L’ajout d’ouvrages de franchissement adaptés, lorsque le maître d’ouvrage y consent, n’est pas toujours la panacée car ces ouvrages sont parfois peu efficaces et le défaut d’entretien peut annihiler la meilleure des solutions même lorsque des conditions optimales sont réunies, leur efficacité ne peut être comparée à l’absence de barrages. De nombreux ouvrages anciens sont impossibles à équiper et plusieurs mouvements migratoires sont difficiles à assurer pour certaines espèces (dévalaison de l’anguille par exemple).
Fonctionnant au fil de l’eau, dépourvues de réservoir important en montagne, les microcentrales perturbent peu l’hydrologie des cours d’eau à leur aval mais la recherche de grandes hauteurs de chutes conduit à dériver leur eau souvent sur des kilomètres, déterminant entre le barrage et la restitution un long tronçon court-circuité (TCC) dans lequel règne, plusieurs mois par an, un étiage artificiel. Un débit dérivé important suffira à le rendre quasi perpétuel en limitant les déversées au barrage. Bien entendu depuis 1984 et la Loi « Pêche », un débit réservé significatif parcourt obligatoirement le TCC des centrales construites depuis lors (les centrales anciennes patienteront jusqu’au 1er janvier 2014), mais le débit plancher légal est souvent inférieur aux étiages naturels du cours d’eau : les microcentrales imposent à nos cours d’eau des débits qu’ils n’ont jamais connus !
Cette réduction de débits entraîne élévation de la température, perte d’habitat, gène des déplacements migratoires, modification de la végétation riveraine, etc. L’impact d’une microcentrale est sans commune mesure avec celui d’une centrale de lac de forte puissance ou d’une usine fluviale au fil de l’eau comme sur le Rhin et le Rhône. Mais si on rapporte cet impact au cours d’eau ou au site aménagé, la comparaison devient alors possible. Prenons par exemple, la gestion des sédiments bloqués derrière un petit barrage, le volume est faible comparé aux sédiments prisonniers dans les grands ouvrages de montagne… mais l’évacuation de ces quelques centaines de m3 lors d’une opération de chasse colmatera un petit cours (e.g. 1 m de large) sur des kilomètres d’une boue asphyxiante et parfois toxique suivant les activités humaines présentes à l’amont.
Certes, des lois existent. Même si leur application passe souvent par les Tribunaux, elles rééquilibrent quelque peu la partie en faveur de la biodiversité. Cependant, les lois sont insuffisantes. L’état des lieux établi pour le futur SDAGE (2016-2021) dans le bassin Rhône Méditerranée constate que 69% des cours d’eau risquent de ne pas atteindre le bon état exigé par la DCE. 49% de ces cours d’eau le devront aux modifications morphologiques, 46 % à la perte de continuité écologique et 36% aux perturbations hydrologiques : trois impacts reconnus des microcentrales qui ne sont évidemment pas seules en cause.

Note de SRL : ces chiffres sont encore plus alarmants pour le bassin Loire Bretagne. Selon le bilan établi en 2013 par l’agence de l’eau : « Pour les cours d’eau, une part prépondérante du risque est liée à l’hydrologie, aux pressions sur la morphologie ainsi qu’aux pressions exercées par les obstacles à l’écoulement. 73 % des cours d’eau (soit 1 375 masses d’eau sur 1 893 existantes) présentent un risque de non atteinte de leurs objectifs environnementaux en 2021. Ce rapport rappelle par ailleurs que « La pression liée aux ouvrages transversaux (Parmi les ouvrages transversaux, il faut distinguer les seuils, qui ne créent pas de retenue d’eau au-delà du lit mineur, des barrages qui inondent le fond de vallée) concerne tous les secteurs du bassin. Son importance et son emprise généralisée en Loire-Bretagne requièrent une attention particulière vis-à-vis des effets cumulés sur le fonctionnement des cours d’eau et donc sur leur état général. »

Pourquoi un résultat si décevant ?
En oubliant la mauvaise application des Lois et une délinquance assez fréquente et peu réprimée, la raison profonde de cet échec tient aux effets cumulatifs dus à une prolifération des ouvrages artificialisant nos cours d’eau. Deux exemples parmi d’autres :

  • 1) on admet que cinq ouvrages de franchissements successifs correctement installés et bien entretenus réduisent à néant toute possibilité de migration pour certaines espèces ;
  • 2) dans le choix du débit réservé, les méthodes basées sur la modélisation de l’habitat en fonction du débit,lorsqu’elles s’appliquent (petits cours d’eau de pente moyenne, quelques espèces de poissons), ont une précision limitée. Leur utilisation consiste généralement à sélectionner le débit qui ne réduira l’habitat que de 20% environ et davantage pour les espèces ou les stades les plus exigeants… Soumises à un tel grignotement au fil des aménagements nouveaux qui se succèdent le long de leur cours, il n’est pas si étonnant que nos rivières soient dans un tel état.

Pourquoi cette course absurde vers l’anéantissement de nos rivières se poursuit-elle ?
Son origine réside dans la rente que constitue l’obligation d’achat payée par tous les consommateurs à travers la CSPE1 mais aussi dans l’image favorable de l’hydroélectricité en tant que source d’énergie respectueuse de l’environnement. Les distributeurs d’électricité souhaitant verdir leur offre sont friands de ces kWh et souhaitent les acquérir auprès des producteurs. L’hydroélectricité est aussi attirante pour les communes rurales souvent démunies de tout autre revenu. La fiscalité locale y est souvent renforcée par une rente assise sur le chiffre d’affaires (5% dans un projet récent) que certains usiniers consentent aux communes pour s’attacher leurs bonnes grâces. Cet intérêt est plus rarement lié aux emplois créés, leur nombre étant limité et leur localisation distante : 1 à 2 personnes suffisent pour exploiter une poignée de microcentrales dans un rayon de quelques dizaines de kilomètres.
Comment parler de gestion équilibrée de la ressource quand l’hydroélectricité a réalisé au moins 90% de son potentiel de développement en France au détriment de nos cours d’eau ? Comment parler de gestion durable en réalisant toujours plus d’hydroélectricité alors même que l’état des deux tiers de nos cours d’eau est d’ores et déjà préoccupant ?

Extrait de : « Microcentrales, hydroélectriques, Environnement. Guide juridique,encadrement juridique des ouvrages, règles de protection des milieux aquatiques, février 2014, Sources et Rivières du Limousin »

La publication complète ici
La pétition en ligne ici

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