Législation et organisation de la pêche en eau douce en France à travers les siècles

Législation et organisation de la pêche en eau douce en France à travers les siècles

Nous ne possédons aucun texte relatif à l’organisation et la réglementation de la pêche avant la conquête romaine, les textes gaulois, peuples de tradition orale, étant par définition peu nombreux et très parcellaires. Ces derniers n’avaient d’ailleurs pas d’alphabet propre mais utilisaient celui des Grecs, des Étrusques ou des Latins. A l’époque romaine, la pêche est libre et permise à tous, le poisson étant considéré comme « res nullius » (« la chose de personne ») tout comme l’eau en général.

Mosaïque représentant des pêcheurs (détail), Villa du Nil (Leptis Magna), période romaine (IIIe s. de n.è)

Après la chute de l’Empire romain, et durant toute la période paléochrétienne (IV-VIème s. de n.è.), le poisson est le symbole chrétien par excellence. Plus tard avec le début du Moyen Âge et l’établissement de la féodalité, le droit de pêche appartient au(x) souverain (s). Il peut l’octroyer à ses vassaux et aux institutions monastiques. A la Renaissance, les rivières navigables ou flottables relèvent du domaine royal, les eaux « non praticables » des droits seigneuriaux.

Livre des merveilles du monde (fin du XVe siècle)
Pêche au saumon (gravure du XVe siècle)

En 1566, l’Édit de Moulins, édit royal pris par le roi de France Charles IX,  réglemente définitivement les aliénations au domaine royal. Cet édit est encore considéré aujourd’hui comme la source historique du domaine public.
La pêche comme activité de subsistance laisse progressivement la place à une activité commerciale, voire aussi à une activité de loisir, comme en atteste la publication en 1653 du traité Le Parfait Pêcheur à la ligne d’Izaac Walton, au point de devoir être réglementée dès le XVIIème siècle.

The Compleat Angler ( Izaac Walton,1653)

En 1669, l’Ordonnance de Louis XIV « sur le fait des eaux et forêts », rédigée sous l’impulsion de Colbert, régit les Eaux et Forêts du royaume, dont la chasse, la pêche et la police des eaux. Elle fonde le droit contemporain avec un rappel de l’Édit de Moulins qui précise que « seuls peuvent prétendre à un droit de pêche sur les cours d’eau domaniaux le bénéficiaire de titres ou possessions antérieurs à 100 ans ». A cette occasion est créée l’autorisation de pêche par bail donnant droit à tout riverain d’un cours d’eau ou plan d’eau non domanial de louer ou céder son droit de pêche. La répression des faits de pollution des eaux prend naissance avec cette ordonnance qui réprime pour la première fois l’empoisonnement des poissons ce qui peut être vu comme les prémices du dispositif visant à lutter contre la pollution des rivières.

A la Révolution, l’abolition des privilèges entraîne la disparition de l’exclusivité du droit de pêche (28 novembre 1793) et la reconnaissance à tout citoyen du droit de pêcher dans les rivières navigables ou flottables : « la liberté de pêche pour tous et sur tous les cours d’eau ».
Cette abolition du droit exclusif de la pêche entraîne un pillage des rivières et étangs si bien que les autorités reviennent en arrière et vote une loi en 1802 rétablissant l’affermage et restituant au domaine public le droit exclusif de pêcher dans les rivières navigables.
En 1805, un avis du Conseil d’État redonne aux propriétaires le droit de pêche dans les rivières non navigables.
La loi relative à la pêche fluviale du 15 avril 1829 affirme la liberté de pêche mais réglemente les droits d’usage avec notamment le développement de garde-pêches, l’interdiction de certains instruments de pêche et les  premières réglementations sur la taille et les espèces capturées. Cette loi fondamentale reprend également certaines dispositions antérieures comme les punitions corporelles que Colbert avait prévues pour les empoisonneurs de rivière qui seront remplacées par une peine d’amende et d’emprisonnement.
En 1845, le Juge J. Perrève, ancien procureur du roi qui s’est notamment intéressé à la régulation de la pêche et de la chasse par la législation, écrivait dans un traité des délits et des peines de chasse dans les forêts de l’État : « La loi des Chinois, qui ne permet de tuer une bête que lorsqu’elle est parvenue à la grosseur ordinaire de son espèce, est tout à fait conforme aux intérêts de la reproduction du gibier et au droit naturel. On doit en dire autant de celle qui, en France, défend la pêche avec des filets dont les mailles seraient trop étroites pour laisser échapper les petits poissons ».
Durant le XIXème siècle, la pêche à la ligne comme loisir est encore marginale et sa démocratisation qui se développera avec l’avènement des chemins de fer s’accompagnera d’une distinction « halieutico-sociale » avec, sous l’impulsion d’une élite, anglaise puis française, des pêcheurs dit « sportif » recherchant les « poissons nobles » comme le saumon, et des pêcheurs dits « de gens de peu ».

Pécheurs de saumon, gravure anglaise (XIXe siècle)
Pêcheur et son gillie, accompagnateur chargé d’épuiseter ou de gafer le poisson (Little Rivers, Van Dyke H., 1903)

Dès les années 1870, les premières sociétés de pêche à la ligne vont se mettent en place pour lutter contre le braconnage, la pollution et organiser des concours de pêche (Malange 2010). Elles vont progressivement se regrouper en fédérations puis en regroupements nationaux et internationaux jusqu’aux années 1950.
En pleine guerre, sous le régime de Vichy, est votée le 12 juillet 1941 un décret portant organisation de la pêche en France en imposant à tout pêcheur de s’affilier et cotiser à une association agréée de pêche et de pisciculture ainsi qu’à payer une taxe annuelle destinée à la police de la pêche et la mise en valeur du domaine piscicole, prémisse de la carte de pêche actuelle. Ce décret est à l’origine du Comité central des fédérations départementales de pêche et de pisciculture, chargé de la collecte et de l’utilisation du produit de la taxe piscicole.
Ce n’est qu’en 1948 que le Conseil supérieur de la pêche (CSP) a remplacé formellement cet organisme. L’objet du CSP est défini dans l’article R. 234-2 du code rural : « le Conseil supérieur de la pêche contribue au maintien, à l’amélioration et à la mise en valeur du domaine piscicole national par une gestion équilibrée dont la pêche constitue le principal élément. Il est également chargé de la promotion et du développement de la pêche. À ces fins, il utilise les fonds dont il dispose pour la mise en valeur et la surveillance du domaine piscicole national, notamment par des interventions, réalisations, recherches, études et enseignements en faveur de la pêche et de la protection du patrimoine piscicole. Il centralise le produit de la taxe piscicole prévue à l’article L. 236-1 ».
L’Ordonnance du 3 janvier 1959 reprend et précise les textes de 1941 et introduit la reconnaissance du délit de pollution industrielle par une modification de l’article 434-1 du Code rural (devenu article L 432-2 du Code de l’environnement). Cette ordonnance conduira à l’adoption de la loi du 16 décembre 1964 relative au régime et à la répartition des eaux et à la lutte contre leur pollution, permettant notamment de mutualiser l’effort collectif de dépollution.

La loi du 29 juin 1984 relative à la pêche en eau douce et à la gestion des ressources piscicoles est l’un des textes à retenir en ce qui concerne l’organisation de la pêche en eau douce. Les textes d’application de celle-ci ont modifié durablement les missions des agents du CSP qui deviennent tous commissionnés au titre de la police de l’eau.
S’en suivra en 1992 l’adoption de la loi sur l’eau du 3 janvier qui a pour objet de garantir la gestion équilibrée des ressources en eau.
Ces textes ne concernent pas uniquement le droit de la pêche ou la gestion durable des ressources en eau et des ressources piscicoles, ils abordent de fait la protection des milieux aquatiques (rivières, eaux souterraines, zones humides, littoral, milieux méditerranéens, lagunes), des poissons et donc de toutes les autres espèces animales et même végétales liées à la présence de l’eau.
En 2006, la Loi sur l’Eau et les milieux aquatiques (LEMA) est créée afin d’atteindre les objectifs fixé par la directive cadre européenne sur l’eau d’octobre 2000 (DCE), en particulier le bon état des eaux d’ici 2015. Cette loi portant sur la protection de l’ensemble des cours d’eau et masses d’eau superficielle ou non réorganise également les structures de la pêche en eau douce. L’Office national de l’eau et des milieux aquatiques (ONEMA) succède au CSP. Il sera dissous fin 2016 pour être intégré dans une des directions de l’Agence française pour la biodiversité (AFB) qui sera regroupér en 2020 avec l’Office national de la chasse et de la faune sauvage au sein de l’Office français de la biodiversité (OFB), nouvel opérateur pour la protection et de la restauration de la biodiversité de l’hexagone et des Outre-mer.
La Fédération Nationale de la Pêche en France (FNPF) a ainsi été créée par la loi sur l’eau de 2006, officiellement le 5 février 2007, et succède à l’Union Nationale pour la pêche en France et la protection du milieu aquatique fondée en 1947. La FNPF étant aujourd’hui l’institution de représentation de la pêche en eau douce et de la protection du milieu aquatique. Depuis le 7 février 2013, elle est officiellement déclarée Association de Protection de L’environnement.
Elle coordonne les actions de plus de 3700 Associations agréées de pêche et de protection du milieu aquatique (AAPPMA), réunies au sein de 94 fédérations départementales de pêche et de protection du milieu aquatique (FDDAPPMA), elles même regroupées en 9 Unions de Bassin (pour le volet protection des milieux aquatiques en concordance avec l’organisation étatique des Agences de l’eau) et en 13 Associations régionales (en concordance avec le nouveau découpage territorial régional pour le volet développement et promotion du loisir). Ses missions sont :
– assurer la représentation et la coordination des fédérations départementales au niveau national ;
– promouvoir et développer le loisir pêche ;
– établir un état national de la pêche en France ;
– gérer le fond Pêche et Milieux aquatiques et contribuer financièrement aux actions de gestion, de protection, de surveillance du patrimoine piscicole, de formation, de promotion et d’éducation à l’environnement.

Aujourd’hui la pêche de loisir et ses quelques 1,5 million d’adeptes est accessible à toutes et à tous sur un vaste espace grâce au système de la réciprocité. Nul autre pays au Monde ne dispose d’un tel réseaux associatif !

Bibliographie :

Gabrielle Bouleau 2009 : La contribution des pêcheurs à la loi sur l’eau de 1964, https://doi.org/10.4000/economierurale.261
Patrice Van Bosterhaudt 2020 : « Les valeurs des polices de l’eau », Droit et cultures [Online], 68 | 2014-2, Online since 02 December 2014, connection on 03 April 2020. URL : http://journals.openedition.org/droitcultures/3436
Jean-François Malange 2010 : « Les sociétés de pêche d’autrefois : une manière de protéger les rivières », Les Ardennes à fleur d’eau, Terres Ardennaises,‎ 2010, p. 332-335.
Jean-François Malange (dir.) 2011 : Les pratiques de pêche à la ligne en France des années 1870 aux années 1930 : aux origines d’une conscience environnementale, Cambridge Scholars publishing, coll. « Integrating the Social and the Environmental in History », 2011, p. 42-65.

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