Olivier Plasseraud : « Artificialiser davantage ou renaturer nos cours d’eau ? »

Olivier Plasseraud : « Artificialiser davantage ou renaturer nos cours d’eau ? »

Je vous livre ici, avec l’aimable autorisation d’Olivier Plasseraud (Directeur de la FDP31), un article fort intéressant sur la politique d’artificialisation de nos cours d’eau.

ARTIFICIALISER DAVANTAGE OU RENATURER NOS COURS D’EAU ?

Pour sécuriser et préserver les services indispensables rendus par les milieux aquatiques aux habitants d’Occitanie, la nécessité d’agir est unanimement partagée. Mais si davantage de barrages, de canaux, de tuyaux peuvent apparaître comme une solution incontournable face aux enjeux du futur, de tels aménagements sont-ils une solution aussi durable et efficace que ne le serait la reconstitution des infrastructures naturelles qui régulaient et épuraient nos cours d’eau bien mieux qu’actuellement avant que l’on ne dégrade fortement leurs fonctionnalités ?
Dans les bassins versants de la Région les plus modifiés par les activités humaines et les plus équipés d’aménagements, la tension des conflits d’usage et la dégradation observée de la ressource en eau n’augurent pas de la pertinence durable de la poursuite de cette stratégie d’artificialisation croissante face aux changements climatiques.

De forts atouts régionaux mais une demande croissante
Notre Région est naturellement dotée d’une grande richesse en milieux aquatiques. Une telle ressource en eau est potentiellement apte au développement de nombreuses activités économiques. Mais les pressions croissantes résultant de ces usages, tendent à affaiblir la capacité de ces milieux à nous fournir les services attendus alors même que les perspectives climatiques vont amplifier ces sollicitations.

Des infrastructures naturelles affaiblies
Les zones humides et les cours d’eau rendent gratuitement de nombreux services lorsqu’ils n’ont pas été trop puissamment modifiés par les actions humaines compromettant cette aptitude. Retenir l’eau dans les sols et les nappes, limitant ainsi la violence des inondations et la sévérité des étiages, ainsi qu’assurer l’auto-épuration, font partie de ces services rendus. Un grand nombre de choix stratégiques d’aménagement et d’usage à l’échelle des bassins hydrographiques de la Région ont fortement dégradé ces fonctionnalités naturelles.
Les perturbations hydromorphologiques de nos cours d’eau sont très importantes. Du drainage à l’échelle de la parcelle agricole jusqu’au recalibrage des cours d’eau, en passant par les ruptures de continuité écologique dues au fractionnement résultant d’une multitudes de seuils et barrages, ces modifications structurelles majeures ont, entre autres effets, considérablement accru les problèmes de l’amplitude saisonnière du « trop » au « pas assez » d’eau.
Aux actions parfois anciennes, volontairement destinées à agir sur les écoulements, se sont ajoutées dans un passé récent, les extractions de granulats dans le lit mineur, qui ont fait disparaitre le matelas alluvionnaire de la Garonne moyenne ou de la basse Ariège par exemple, alors même qu’une succession de barrages empêche sa reconstitution en bloquant le transport solide. Ainsi, à débit égal, la surface de ces cours d’eau s’écoule actuellement l’été un à trois mètres plus bas qu’à peine un siècle plus tôt, non plus sur une épaisseur de galets perméables, mais sur la marne du socle rocheux, abaissant ainsi les niveaux des nappes, les drainant plus souvent et plus longtemps au lieu de les recharger pour leur permettre de soutenir naturellement les étiages.
La perte de ce matelas alluvial c’est aussi la perte du sous-écoulement, qui permet l’autoépuration et rafraîchit l’eau en été. La forte régression de toutes les espèces de poissons de rivières inféodées aux fonds caillouteux et à une libre circulation, est une conséquence et un marqueur de ces perturbations.

Des solutions techniques dont les limites de l’efficacité sont connues
Les enjeux hydromorophologiques et leurs conséquences sur la résilience de nos écosystèmes aquatiques face aux enjeux climatiques à venir semblent actuellement sous-estimés au profit de recherche de solutions visant à artificialiser encore davantage notre réseau hydrographique sur la base d’exemples existants, en vue de la seule gestion des débits nécessaires aux usages les plus consommateurs d’eau.
Le système Neste nous donne une illustration des conséquences de cette orientation stratégique. Ce dispositif remplit en effet sa fonction au regard de la gestion et de la conciliation des usages en période d’étiage, mais aucun cours d’eau dans ce périmètre n’est cependant en bon état au sens de la Directive Cadre Européenne sur l’eau.
La situation actuelle pouvant éclairer l’avenir, il est facile de constater que si l’on superpose la carte de l’état des cours d’eau (figure 1) de la Région à celle du réseau hydrographique artificiel (figure 2) ou à la répartition des aménagements de soutien d’étiage et d’irrigation (figure 3), l’antagonisme est très net. Les cours d’eau « bénéficiant » de ces équipements ne sont pas en bon état. Les causes sont multiples mais les faits sont nets: les cours d’eau en bon état qui subsistent encore dans notre Région sont en dehors des bassins versants pourvus de ces aménagements.
Donc s’il est possible que de nouveaux aménagements sur des principes anciens (stockage, réalimentation, soutien d’étiage…) puissent en partie répondre à certaines attentes d’usages sous réserve de leur compatibilité avec les changements climatiques, il est très improbable qu’ils garantiront le bon état des cours d’eau qu’ils équiperont, car aucun exemple dans notre Région n’atteste de cette éventualité. Tout comme les aménagements du même type déjà existants, de nouveaux barrages et réseaux ne remplaceront pas, et contribueront même probablement à affaiblir, les nombreux autres services que le seul soutien d’étiage, rendus aux habitants d’Occitanie par des milieux aquatiques fonctionnels et les organismes vivants qui les peuplent.

Figure 1 : État écologique des masses d’eau superficielles
Figure 2 : Réseau hydrographique artificiel de la région Occitanie
Figure 3 : Principales retenues utilisées pour l’irrigation et le soutien d’étiage

Une gouvernance de l’eau dominée par les usages
La composition et le fonctionnement de nos instances de gouvernance territoriale de l’eau, tend essentiellement à réduire celles-ci à l’arbitrage des conflits d’usage. En effet, le jeu démocratique de confrontation des intérêts des acteurs de l’eau qui en découle conduit inexorablement à cette logique limitée et partielle face à la complexité des enjeux. Dans cette situation, la protection et la restauration des milieux aquatiques, bien qu’elle relève, au titre de bien commun, d’un intérêt général supérieur, s’en trouve réduite à un usage parmi d’autres, ajustable et compensable.
Cette gouvernance dominée par les usages procède de simplifications, comme par exemple le concept de Débit Objectif d’ Etiage et ses déclinaisons, outils d’aide à la décision qui laissent penser que l’essentiel de la préservation de nos milieux aquatiques peut se résoudre par le bilan entre prélèvements et apports, accréditant ainsi la nécessité impérieuse d’une maitrise croissante de stocks artificiels.
La démographie et les enjeux économiques, à l’échelle de notre Région, conduisent mécaniquement à accroître la pression sur les milieux aquatiques, ultime variable d’ajustement lorsque les différents usages atteignent leur niveau critique de contraintes acceptables. Ce n’est bien souvent que le cadre réglementaire, en dernière instance, qui ralentit plus qu’il ne limite, l’érosion de l’intégrité des milieux aquatiques, plutôt qu’une décision territoriale issue de concertation. L’état des cours d’eau de notre Région, très éloigné des objectifs Européens, atteste des défaillances de cette modalité de gouvernance de l’eau.

L’avenir de l’eau en Occitanie est-il dans de nouveaux barrages ?
En l’état actuel des connaissances disponibles, l’amélioration de l’intégrité et de la fonctionnalité des infrastructures naturelles, notamment par la restauration des cours d’eau et des zones humides, serait une façon durable de bénéficier des services rendus par les écosystèmes aquatiques.
Une approche réaliste des faisabilités, coûts et avantages de tels choix doit être comparée à la création de nouveaux stocks artificiels qui ne permettront au mieux que la seule sécurisation en période d’étiage d’usages très consommateurs d’eau, dont la pertinence à terme pourrait être remise en cause par les changements climatiques ou des priorités concurrentes.
Une orientation vers la restauration des milieux aquatiques, sous-entend toutefois des arbitrages et des politiques territoriales conduisant :
– d’une part à orienter les dépenses préférentiellement vers la restauration d’infrastructures naturelles à la hauteur quantitative des enjeux, misant sur l’innovation et l’ingénierie environnementale plutôt que sur la technologie hydraulique du passé ;
– d’autre part à une sobriété, une maitrise démographique et une préservation d’espaces naturels compatibles avec cet objectif.

Olivier Plasseraud
Directeur de la FDP31

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