Plaidoirie pour un art

Plaidoirie pour un art

« Vous avez tout, l’argent, le savoir, l’intelligence et la prestance, tout, sauf au cœur et à la bouche cette qualité de l’aurore qui n’appartient qu’au plus finaud comme au plus cruchon des pêcheurs. Elle est faite d’une pincée de perlimpinpin, d’une giclée de folie douce, de la masse muette d’un espoir le plus souvent insensé qui tient en ces quelques mots puérils […] : « Aujourd’hui, ça va mordre.  »

(Les Pieds dans l’eau, René Fallet, 1974)
Les Pieds dans l’eau, René Fallet, 1974. « Les pieds dans l’eau » de René Fallet,1974 (illustration de Blachon)

En ces quelques mots, pourrait ainsi se résumer notre passion et, comme le soulignait Théophile Gautier, « Rien ne calme les passions comme la pêche à la ligne, divertissement philosophique que les sots ont souvent tourné en ridicule, comme tout ce qu’ils n’ont pas compris ». Mais la pêche n’est-elle qu’une passion ? Certains la qualifient de pratique sportive. A mon goût le terme est excessif, du moins pour la pêche que nous pratiquons. En effet, une tendance générale d’aujourd’hui est de confondre les concepts de sport et d’activité physique. Les deux ne sont pas synonymes : l’activité physique est une simple pratique alors que le sport se défini par des règles et est majoritairement orienté vers un résultat. Peu de règles existent pour la pratique de la pêche et bien que tout bon pêcheur qui se respecte recherche des résultats, la prise de poisson étant quand même un des buts recherchés, l’esprit de compétition demeure anecdotique, fort heureusement.
Fort heureusement, car la compétition désigne une attitude de rivalité et de concurrence. Personnellement, je ne me sens pas en concurrence et encore moins rival : aucune de mes sorties n’est synonyme de concours, je laisse cela à d’autres… Mais alors comment qualifier cette passion ? Et pourquoi pas un art ?

L’art est avant tout une activité humaine ; la pêche n’en est-elle pas une ? Mieux encore, l’art, dans son sens premier, se définit comme une pratique qui met en œuvre l’application de connaissances et d’un savoir-faire en vue d’un objectif. Le savoir-faire n’est-il pas essentiel à la pêche ? L’objectif n’est-il pas de prendre du poisson ? Y a-t-il pour autant 1,4 millions d’artistes pêcheurs ? Je ne le crois pas, car comme le dit si bien Izaak Walton dans son discours philosophique « …celui qui espère être bon pêcheur doit, non seulement apporter à l’étude un esprit chercheur, inquisiteur et observateur, mais aussi apporter à la chose une grande mesure d’espoir et de patience ; un amour de cet art est une véritable vocation » (« The Compleat Angler » – Le parfait pêcheur à la ligne ou le divertissement du contemplatif, Izaak Walton, 1653).
Le vrai pêcheur, pour être un artiste, doit donc s’intéresser de très près à l’habitat de ses favorites. C’est un naturaliste aux connaissances patiemment acquises au bord de l’eau. Ce n’est qu’en passant de longues heures à communier avec l’environnement, de « Dame truite » par exemple, qu’il développera ce fameux « sens de l’eau » qui fera de lui un champion au sommet de son art. De cet art naitra aussi un profond respect pour l’adversaire, voire un véritable amour. De cet amour, naitra également un profond respect pour l’environnement. Le pêcheur, le vrai, n’est-il pas le premier révolté quand une usine hydroélectrique procède à un lâcher de barrage, malheureusement trop souvent le seul , ou encore quand un rejet de polluants , moins cher à l’amende qu’à recycler, détruit toute vie dans un cours d’eau… Mais l’image traditionnelle et désuète du pêcheur assis devant sa canne qui s’impose au profane demeure encore aujourd’hui trop souvent la seule. Non et non, la pêche ce n’est pas que ça…

Image du pêcheur, humoristique certes mais… (années 1940, illustration Jean de Preissac)

C’est beaucoup plus profond et complexe et il est vrai que dans un monde ou le numérique et le virtuel l’emporte à grands pas, la transmission n’a pas suivi. Pour beaucoup, la pêche reste uniquement synonyme de dilettante, voire de jeu, au même titre que d’autres activités de loisir servies sur un plateau par des gens parfois peu scrupuleux qui ne méritent qu’un qualificatif : celui de « prédateurs ». On pourrait par exemple citer cette dernière activité en date qu’est le ruisseling et qu’on arrive à vendre, car il s’agit bien de vendre, au grand public sous une étiquette pseudo-écologique avec des slogans plus tendancieux les uns que les autres sur une soi-disant « découverte de la nature ». Le ruisseling ou comment découvrir la nature !
Bien qu’il existe de nombreuses instances, dont je ne traiterais pas ici de l’efficacité, tout pêcheur peut et doit intervenir à son niveau pour entretenir et faire évoluer cet art et son image. Nous devons être des garants de la qualité des cours d’eau et plus largement de l’environnement. Il ne peut en être autrement !

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